the story of my life.





- Qu'est-ce que ça peut bien me foutre ? Il écrasa sa cigarette sur le bois rance et noirci de la table. - Je déteste tous ces prétendus bons samaritains verruqueux. J'ai épongé ma peine et basta, on oubli. Dimitri ouvrit les bras, un sourire en coin en observant la rousse qui s'était noyée dans l'observation de son verre de brandy. Elle serra son sweat délavé, haussa les épaules en regardant ailleurs.
-Je pensais que tu allais reprendre. Papa t'a proposé de payer une caution pour la prison. Je ne comprends pas pourquoi tu.. Elle vit le visage de Dimitri se fermer et se tut aussitôt. - On en parlera une autre fois. Tu veux des légumes ? Le silence qui suivit était aussi épais qu'une brique. Il baissa le menton involontairement en reniflant avant de faire racler les pieds de la chaise contre le carrelage, se levant aussitôt. Dimitri ouvrit une des fenêtres et inspira l'air plus suffocante que celle qui embaumait la cuisine. Il avait toujours vécu à Gotham, et il détestait cette ville. Il la haïssait comme s'il s'était enfoncé dans la fange jusqu'au bassin sans pouvoir s'en dépêtrer.
Dimitri n'avait jamais connu de drame familiaux. De drame tout court. On lui avait pourtant prédis une vie désastreuse et jusqu'à ce jour, ce fut le cas. Un assemblage de mauvais choix, un nappage de mauvaises fréquentations, de rêves idolâtrés. On l'avait pourtant applaudi à son entrée dans la police municipale : finalement la roue tournait belle et bien. Son procès avait été passablement bâclé, mais le résultat était le même : un séjour en prison pour homicide involontaire, trafique d'armes, détention de stupéfiants. Il était sorti pour bonne conduite; mais s'ils savaient qu'il avait payé le prix fort pour des prises régulières d’héroïne, peut-être aurait-il le droit de retourner illico en cellule.
Nonchalamment, il porta une seconde cigarette à ses lèvres. - Tu me fais un café ? Demanda t-il sans prendre la peine de se retourner.
- Du sucre ?
- Je déteste le sucre.

Dix minutes plus tard, il rabattait sur son visage la capuche de son sweat gris. Cela faisait deux semaines qu'il était sortit. Il avait bien compté. Trois ans qu'il purgeait sa peine; mais c'était sans doute mérité. Le ciel était bas et froid comme la plupart du temps, gorgé d'une pluie sale et odorante. Son rêve de partir à New York s'était effrité et il en l'avait saupoudré sur ses ambitions. Dimitri traversa la rue et s'engouffra dans une ruelle adjacente, exiguë au possible où les murs étaient ferrés de tôles froissées. Depuis la mort d'Émilia, il n'avait pas posé le pied dans leur appartement. Tout devait être resté intact et peut-être que sa famille était venue récupérer des effets personnels - c'était la moindre des choses. Quant à lui, il ne s'était pas pointé pour leur présenter ses condoléances. Il avait tiré dans la poitrine de leur fille, quelles genre d'excuses pouvait-il donner ? Je suis venu vous dire que j'étais désolé d'avoir buté votre fille. Sinon, on peut être copain ?
Bien entendu, il s'en mordait les doigts. Il avait eu le temps de ressasser la fusillade et de tuer trois cent fois la taupe qui avait permis à la police de faire une descente. Il savait pertinemment que ces images le hanteraient toute sa vie, mais il n'était pas le genre de type à se laisser bouffer par le passé. Aller de l'avant, tant pis pour le reste. Et derechef, il coinça une clope entre ses lèvres, levant un regard par dessous la capuche qui lui dérobait les traits de son visage. Il y avait tout un tas de merdes dans le débarras en face de lui, comme si tous les habitants de Gotham s'étaient concertés afin de vider leurs poubelles à cet endroit précis. Putain. Il détestait vraiment ce misérabilisme purement américain.

Rancunier, il retroussa la lèvre en crachant le mégot qu'il préféra oublier contre le bitume. Il ne savait pas si c'était la couleur vermeille qui avait attiré son regard ou la forme cylindrique de la boite à musique qu'on avait laissé choir quelques mètres plus loin, mais il ne cessait de l'observer avec une empathie toute nouvelle. Ce coin désaffecté de la ville était l'endroit idéal pour exploiter ce qu'internet et sa pile de comics appelaient la télékinésie. Dans le genre bordélique, ce don aussi arborait une jolie médaille. Il se mit à calmer son rythme cardiaque et il était inutile de dire qu'il se sentait profondément con à l'idée de ne pas quitter des yeux un objet, l'observant comme si c'était le Graal ou quelque chose dans le même genre. Un menu best of de McDo observé par un crève la faim. S'il y arrivait, qu'est-ce que cela ferait de lui ? Il avait tout un tas de possibilités qui s'offraient à ses yeux, certes. Il n'était cependant pas particulièrement emballé à l'idée de prendre la tête de la mafia locale ou quelque chose du genre. En réalité, Dimitri avait toujours cette appréhension latente, celle du remord, entre autre. Il s'en voulait d'avoir tué Émilia. La réalité avait été du à réaliser, puis à accepter, finalement. Il gardait toujours sa bague de fiançailles, et c'était peut-être un signe de rédemption. S'il pouvait faire quoique ce soit pour la ramener, ou faire les choses à son image, se pardonner serait peut-être plus simple. L'homme n'était antipathique que par nécessité. Sa vie était un hors d'oeuvre mal mené, mal agencé. Mais il avait le pouvoir de la mener comme bon lui semblait et ce n'était pas un désir d'être un héros en devenir. Il n'aimait pas susciter l'intérêt commun, préférant de loin rester bien tapi dans sa propre ombre. Il était plus du genre à devenir un anti-héros, ce genre de paumé à la Clint Eastwood.
Ravalant sa douleur femelle, le brun sentit un picotement au bout de ses doigts et la boite à musique dévala la montagne de merdes sur laquelle elle était perchée. Il fronça du nez avant de se pourlécher la lèvre supérieure. Bravo Dimitri, tu as gagné le jackpot, quelle fabuleuse démonstration de ton démentiel pouvoir.